samedi 1 septembre 2012

L'école du rire.


On me reproche ces derniers temps d'être resté complètement imperméable à l'influence de films dits "cultes", du "Père Noël est une ordure" à "La classe américaine" au simple motif que cette lacune cinématographique me rend incapable de saisir tout le sel des citations qui émaillent le médiocre discours des uns et des autres.

Me voilà donc étiqueté paria de l'humour de masse parce que je ne surenchéris pas lorsque vous parlez de "ouiche"...
Mes chéris, j'ai une mauvaise nouvelle pour vous : si "Le Père Noël est une ordure" a tant de succès dans les cours d'écoles, c'est qu'il fournit justement aux plus sous-développés de l'humour, les enfants, de quoi générer le rire.

Même gosse, je n'ai jamais ri à vos "petits doubitchous", à vos "c'est cela, oui" ou à vos éparpillements "façon puzzle". Parce que l'humour de citation est l'humour le plus pauvre qui soit et que le moindre calembour, aussi mauvais soit-il, relève de plus de créativité que la simple répétition d'une phrase de film.

Attention, je ne nie pas le paramètre de pertinence de la citation : il ne suffit pas de l'avoir en stock, encore faut-il la sortir fort à propos. Très bien.
Si une demoiselle me demande quel jour on se voit, il sera tout à fait pertinent de ma part de lui répondre que je lui laisse le choix dans la date. Parce qu'il s'agit de date, justement, et que c'est une femme. Applaudissez.
La contrepèterie, ce n'est pas à la portée du premier venu : cela exige une maîtrise et une appropriation de la langue. En clair : il y a celui qui, du tac au tac, produit la contrepèterie, et il y a ceux qui la répètent à l'envi, probablement après qu'on la leur aura expliquée.
A qui revient le mérite ? Quand je sors ma contrepèterie, même avec pertinence, suis-je drôle, suis-je original ? Mieux encore : suis-je drôle parce qu'original ?
Évidemment non. Je ne suis qu'un piètre pitre qui exploite le produit d'un tiers dans l'espoir de me faire mousser, mais le résultat est que j'affiche par l'utilisation même du plagiat la faiblesse de ma capacité de production originale, tel un Chinois de l'humour. Exactement comme ce skyblogueur qui avait pompé un de mes articles. Tu avais trouvé ça pathétique et tu avais eu raison. La citation de film, c'est du même tonneau. Créativité ZÉRO. Et j'en ai autant pour tous les non-comiques qui ne se lassent pas d'imiter ce petit bruit de succion de Dieudonné à la sortie de ses spectacles. Que lui le fasse, why not, c'est son gimmick, mais vous, non.

Je ne comprends pas comment on peut éprouver la moindre fierté à générer du rire avec une phrase éventuellement drôle qui n'est pas de soi. Tu as fait rire les gens mais ce n'est pas toi qui est drôle. Peut-on imaginer situation plus humiliante ? Le fait est que la citation de film comique cherche moins à produire le rire que la connivence.
Connivence dont je me passe fort bien.

Tel un ami métisse dont l'intelligence lui prodiguait la mauvaise foi nécessaire à la réfutation d'une supériorité physique et artistique des Noirs dans les danses africaines, je cherche moi aussi à me définir par ma production plutôt que par ma couleur de peau ou mes origines judaïques. Or, il y a un moment où il faut quand même un petit peu accepter qu'on ne se construit pas à partir de rien et avec rien, et que la culture est aussi quelque chose dont on hérite malgré soi. Et quand tu es élevé dans une culture imprégnée de phrases comme "au commencement était le verbe" et de l'omniprésence de la mère, eh ben il y a des chances pour que l'enfant que tu es se définisse aussi par rapport à cette mère, notamment par la position de soumission, soumission se traduisant dans mon cas par la maîtrise de la langue maternelle (je te laisse analyser les indicibles raisons de ton orthographe calamiteuse).
Ce n'est pas mieux ou moins bien qu'autre chose, et si tu veux savoir j'aurais préféré l'oreille absolue.

Le fait est que dès ma plus tendre et insignifiante enfance j'ai abhorré tes citations de merde et me suis concentré sur une production humoristique originale : je n'exagère pas en disant que tu passes certainement à côté de la subtilité de mes écrits si tu es du genre à lire ma prose plutôt qu'à l'entendre. C'est comme baiser tout le temps la lumière éteinte : ça peut être agréable, mais tu rates aussi des trucs.

Tu vas me dire : "Euh...OK. Mais c'est quoi le rapport avec le Japon ?"

Eh bien il m'arrive de rire de l'humour japonais. Or, beaucoup s'accordent sur le fait que l'humour japonais n'en est pas et que c'est pas drôle. Qu'est-ce qui me fait donc rire dans l'humour japonais ?

Eh bien c'est ce que j'appelle "l'ancre". Une ancre, c'est un pivot dans le discours qui te permet de rebondir. Évidemment, ce qui est drôle et fait la valeur de l'humour, c'est ce que tu construis à partir de cette ancre et comment tu le construis. C'est la base du manzai : à partir d'une même phrase chacun trouve une ancre (ボケ) éventuellement différente et construit sa vanne (突っ込み). C'est un phénomène tellement culturellement implanté qu'on le retrouve régulièrement en version vidéo : à partir d'un élément visuel on crée une vanne, la pertinence et la drôlerie étant inversement proportionnelles à l'évidence du signal visuel.
Je te donne un exemple : si tu vois quelqu'un les cheveux en bataille et que tu le vannes en disant "hé, on dirait que tu t'es coiffé avec un pétard ce matin, LOL ! ", c'est considéré comme une vanne, mais tu avoueras que passé 5 ans on ne peut pas considérer ça comme une vanne absolument hilarante. Pareil pour la fille qui a le nez rouge et que tu traites de clown, t'es pas allé chercher très loin.
Donc plus tu utilises un angle d'attaque inattendu et que tu lances ta vanne de loin (par exemple, j'affectionne le ボケ à partir d'une seule syllabe commune à 2 mots complètement différents pour me servir ensuite le 突っ込み adéquat en l'absence de gens intellectuellement suffisamment vifs pour me tacler comme je le mériterais), plus c'est drôle.
Par exemple :


Une grosse qui se gaufre entre deux matelas de sport, tu pratiques rapidement l'association grosse ⇒ cochon ⇒ tonkatsu + matelas ⇒ moelleux ⇒ pain = maisen, les sandwiches au tonkatsu.
Comme c'est la télévision et que c'est fait pour les abrutis, tu auras toujours une image en bas à gauche pour mieux visualiser, indispensable pour les grands classiques de cet humour qui consistent en références à des personnes ("oh tiens, tu tremblotes comme Mori Shin'Ichi, LOL !") plus ou moins célèbres et parfois déjà plus ou moins décédées, et puis des fois c'est même limite private joke.
Je ne te dis pas que j'explose de rire à chaque fois, mais ce qui me séduit profondément dans la démarche, c'est – on y revient toujours – le regard. Le détail que tu perçois et à partir duquel tu bases toute une réflexion que tu transcendes dans une vanne, avec le bon timing.

Tu comprendras donc que ne pas avoir vu "Les Bronzés" dans le simple but de pouvoir recevoir en clin d'œil les dialogues que tu t'es efforcé de retenir par cœur ne me traumatise pas et que le mépris que je porte à ce mode de communication est équivalent à l'affection que tu en conçois.

16 commentaires:

M. Cromwell a dit…

Simple curiosité : C'était qui le skyblogueur ?

Anonyme a dit…

Robert Patrick : trois ans que je le suis, et toujours aussi puissant. On en redemande. La remarque sur la langue maternelle m'a scotche. Eureka.

Anonyme a dit…

Ben moi j'ai rien compris.

Anonyme a dit…

Je crois que tu confonds deux choses, ou plutôt que tu te focalises sur un seul type d'humour.
Il y a, effectivement, l'humour d'"ancre" comme tu dis, celui qui se base sur la maîtrise de la langue, la culture générale, et la capacité à faire des rapprochements incongrus entre des situations apparemment sans rapport pour l'esprit qui resterait au premier degré. J'appelle ça l'humour illuminé, parce qu'il ne se pense pas, il vient à point nommé comme cadeau du bon dieu. Dans ce domaine, Raymond Devos était un maître, un maalem comme on dit (je glisse ici une petite citation de film, pour le plaisir).

Mais il existe un autre humour, le plus commun car le plus accessible: l'humour d'affinités. Pourquoi penses-tu que les pages Facebook du genre "Si toi aussi tu mets une jambe par dessus la couette quand tu as trop chaud mais peur d'avoir froid" ont plus de "like" que Yannick Noah, le fraudeur préféré des Français? Parce que l'humain aime les affinités. Nous aimons découvrir ces proximités qu'on a entre nous et qu'on ne soupçonnait pas. Dans ce cas, le facebookeur vas liker la page en souriant et en se disant "tiens, c'est marrant je ne pensais pas que tout le monde faisait ça aussi".
Le Père Noël est une Ordure, c'est pareil: sorties de leur contexte et de la mise en scène, les expressions comme "c'est cela oui" ne sont pas drôles. Ce qui donne envie aux gens d'utiliser cette expression, c'est que si leur interlocuteur rit, ils comprendront qu'ils ont un cercle (ou groupe) culturel en commun, et donc des affinités. La phrase "je vais me chier dessus" ou "ça va couper chérie" n'est pas drôle...sauf pour celui qui a vu et aimé la Cité de la Peur.

Je pense que tu as tort de mépriser cet humour, parce qu'il ne se veut pas original, ce n'est pas du plagiat. Ce serait du plagiat d'utiliser une contrepèterie ou un jeu de mots subtil de quelqu'un et de s'en donner le crédit auprès de ses interlocuteurs.

Ps: le gif animé est vraiment immonde.

Lolo a dit…

@Anonyme : en parlant de "connivence", je pense que RP saisit parfaitement ce que tu définis - très bien - comme de l'affinité.

Au delà de la recherche d'appartenance à un groupe, je dirais même qu'il s'agit d'un système d'exclusion. J'ai pratiqué moi même la private joke de tout ordre et à outrance avec quelques amis très proches. Notre but était justement de définir une frontière qui nous sépare des autres plus que de se confirmer dans nos relations exclusive. Quelqu'un qui te lance une "référence", c'est quelqu'un qui te propose de rentrer dans son cercle. Mais l'"homme qui marche" s'en fout de rentrer dans ton cercle (tu vois, là, je fais une référence que tu accroches et qui me rend sympathique à tes yeux...).

Ensuite, RP a un problème avec le métier d'interprète et ne reconnait que l'auteur-compositeur... C'est ça les artistes... !

Kikinawak a dit…

"Bref, j'ai posté un article"

Anonyme a dit…

@ Anonyme d'au-dessus :

"Le fait est que la citation de film comique cherche moins à produire le rire que la connivence."

C'est dans l'article, hein. Tu t'es fatigué pour rien.

Maudis donc avec moi ce fichu système scolaire qui forme à broder des interprétations convenues au lieu de lire attentivement.

Anonyme a dit…

@ Anonyme qui maudit :

"Le fait est que la citation de film comique cherche moins à produire le rire que la connivence.
Connivence dont je me passe fort bien."
Si tu lis attentivement et faisant attention à ne pas broder des interprétations convenues, tu remarques que pour RP la connivence n'est pas synonyme de rire. RP explique qu'il est insensible à ce sentiment que toi et ton esprit faible avez quand quelqu'un cite un film que tu as trouvé drôle et que tu t'en remémores des passages.
Moi ce que je voulais dire c'est que la connivence entraîne souvent le rire chez beaucoup de personnes, mais que ce n'est pas pour ça qu'on n'est qu'un plagiaire.

Anonyme a dit…

@ Lolo

Tout à fait, d'ailleurs le terme de "connivence" a une connotation de secret, de complicité criminelle, et n'a pas été choisi par hasard.
C'est pour ça que j'ai préféré parler d'affinités.

Anonyme a dit…

"L'humour, pourquoi c'est drole ? "

Quand je lis cette article je sens le gars qui n'a pas participer a/compris un delire entre potes et que ca a fait chier... Stou!

Anonyme a dit…

Rapport avec les meufs qui gerbent ?

Aymeric a dit…

J'ai envie de dire que la différence réside surtout entre l'humour amateur et l'humour professionnel.
Il n'y a pas de plagiat ni quoi que ce soit quand il s'agit de faire marrer ses potes. En revanche quand on monte sur des planches pour faire rire des inconnus, qui ont payé pour ça, on se doit d'être original (d'ailleurs un "plagiat" peut être original en fonction du ツッコミ).
Dans l'une comme l'autre des situations, peut importe la blague tant qu'on a l'allégresse ;)

Renaud a dit…

Quid de la contrepèterie en japonais ?
Possible, populaire, utilisée, utilisable socialement ?

Anonyme a dit…

@Anonyme du 3 septembre 2012, 21:45 :
De blagues, on rit.
De connivence, on glousse.

@Renaud :
D'après mon expérience, on en entend parfois, mais en général, sur des séquence courtes de trois ou quatre mots.
C'est donc potentiellement assimilable à la honte ultime de l'humour pour un japonais qui veut fourrer : la blague facile, ou "oyaji-gag".
Parfois, c'est aussi un slogan de pub ou un proverbe millénaire que tout le monde utilise au quotidien avec beaucoup de respect et d'admiration.

Anonyme a dit…

Excellent post, comme d'habitude, mais :
"Je ne comprends pas comment on peut éprouver la moindre fierté à générer du rire avec un meme internet éventuellement drôle qui n'est pas de soi."

TT a dit…

Niveau créativité François est un 5ème Dan

 
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