vendredi 30 décembre 2016

Helvète Revolver


Un être vous manque et le métro de Tokyo n'en est pas moins peuplé, comme quoi pour sortir des proverbes à la con, vaut mieux être né à la campagne.

Ce 24 décembre comptait donc un Suisse en moins dans l'archipel (enfin, "un Suisse"... le mec avait jamais entendu parler de la Marmite de l'Escalade, can you believe that shit ?), alors j'ai rien changé à mes habitudes, et je suis allé manger dans un chouette restaurant en compagnie d'une femme qui n'était pas ma copine, comme on va au zoo, pour voir toutes les autres tables de gens qui font semblant. Ces filles habillées comme des princesses, persuadées que l'amour véritable ça veut dire baiser 3 fois par an : le 14 février, le jour de l'anniversaire de monsieur – parce qu'il est difficile d'y couper –, et puis le 24 décembre, parce que comme il a payé un bon repas, il faut bien lui rendre la pareille, sinon on n'est pas quittes.

Japonaises, vous me charmez, et votre définition du romanti$me m'émeut dans ce qu'il y a de plus français en moi. Et ne me lancez pas sur la fréquence de vos visites chez le gynéco, hein.

Anyway, mon passif m'empêche 
évidemment de considérer Noël comme autre chose qu'une fête familiale et chocolatée, ce dont je vais vous entretenir aujourd'hui.

Tu vois la petite maison, là-haut ? C'est LE symbole de mes Noël d'enfant. Tellement que quand je l'ai vue sur le site de la Migros, alors que j'avais oublié jusqu'à son existence, j'ai failli chialer. La partie à droite se tire, et ça fait sortir les chocolats, mais aussi bouger les images, et alors la sorcière apparaît à la fenêtre.

Mes Noël, c'est ma grand-mère qui vient exprès de Suisse avec tellement de chocolats dans ses valises qu'il en reste encore en février. Et puis des calendriers de l'avent comme on n'en trouve plus, avec plein de paillettes qui se déposent un peu partout au fur et à mesure qu'on ouvre les fenêtres avec les dessins simplistes qui remplissent de joie ta journée et augmentent le désir d'ouvrir celle du 24 décembre parce qu'il y a DEUX BATTANTS.

Les chocolats, ce sont toujours les mêmes, à commencer par ceux qui décorent le sapin :


Il y a les pommes de pin, les cloches, mais surtout les boules – toujours une rose et une jaune –, et puis le champignon – mon préféré.

Il y a aussi les pièces dont j'aime faire fondre le centre avec la langue et qui ne prennent pas beaucoup de place, alors ma grand-mère en apporte toujours plein :


Et puis les napolitains, avec ce sac étroit où tu cherches du bout des doigts ceux que tu préfères en premier, et où tu laisses les fameux "Crémant", parce que c'est du chocolat noir.

Mais un Noël suisse, ce n'est pas que du chocolat, c'est aussi ÉVIDEMMENT la "tarte des Grisons", celle avec le chocolat dessus, dont ils ont changé la recette à un moment pour mettre du chocolat moins bon et je sais pas s'ils sont revenus à la recette originale, mais sérieux, le mec qui a décidé ça je lui souhaite bien du cancer à ce petit fils de pute. Et puis il y a la même sans chocolat dessus, plus sèche, mais de toute façon tu la manges en même temps que ton Nesquick/Ovomaltine/Benco/Tonimalt, donc ça va. Bien sûr, tu commences toujours par celle avec le chocolat dessus, l'autre n'étant qu'un pis-aller, aussi bonne soit-elle, c'est pas la même chose, tu peux pas t'empêcher de te sentir lésé.

Mais ça, c'est le facile-à-manger, le truc qui ne demande aucune éducation gustative.

Car il y a aussi le pain d'épice régional, qui s'appelle en vrai "biscôme" (ou "lebkuchen" comme on dit là-bas), mais j'en avais aucune idée jusqu'au projet d'écrire cet article et aux démarches googlesques qui vont avec, genre "pain d'épice+ours+Bern", puisque la Migros a décidé que mon enfance n'avait plus trop d'influence sur son catalogue hivernal.


Ma grand-mère en apportait au moins 2 : toujours 1 avec l'ours bernois dessus, en général avec une couche de massepain à l'intérieur, et un autre avec un dessin de Noël dessus, sur une plaque en pâte d'amande. Au début, non seulement j'aimais pas, mais en plus paie ton pain IMPOSSIBLE à découper tellement il est dense ! J'ai commencé à aimer en le trempant dans du lait, et depuis je ne le mange que comme ça, parce qu'on change pas une recette qui gagne, comme ne l'avait pas compris le fils de pute qui a niqué la qualité du chocolat sur ma tarte des Grisons.

Voilà, tout ça pour te dire que la Migros a été le partenaire officiel de mes Noël pendant un gros tiers de ma vie, et que malgré certains communiqués de presse, je vois toujours pas mes putains de Zwieback ou ma putain de petite maison Frey dans les magasins de la capitale, donc comme vous aimez bien voter tous les 3 mois des résolutions dont on n'avait pas forcément besoin, je vous propose pour dans 3 mois :

1) de vérifier qu'on est bien revenu à la recette de chocolat originale de la tarte des Grisons, il en va de votre réputation internationale.

2) de planifier "une semaine suisse" dans les grands magasins (ça existe pour les autres pays, alors bougez votre cul) PENDANT LA PÉRIODE DE NOËL avec les produits mentionnés dans cet article.

3) de nous balancer des Zwieback de la Migros toute l'année, c'est pas comme si le Japon était le pays qui se régale de pain séché en toutes occasions, hein ?

Schnäll !

lundi 17 octobre 2016

Seiyû, say me, say it together.


J’ai beau fréquenter de l’idol de chez Akimoto (pas Yamamoto Sayaka, malheureusement), je prête le moins d’attention possible à ce qui se passe là-bas, car, comme tu le sais déjà, chez Robert Patrick on soutient plutôt l’équipe adverse. Autant te dire que la mère Kago qui me fait mentir et qui rise from her grave, ça m’a bien fait plaisir.
La télévision japonaise, en revanche, n’a pas son pareil pour m’informer sur le devenir des unes et des autres, j’ai donc appris cette semaine que « Paruru » allait bosser un peu moins dans la danse et un peu plus dans la voix : elle veut devenir doubleuse (声優), si possible pour le studio Ghibli.

Et c’est exactement de ça dont je vais te parler aujourd’hui : le bordel qui entoure le doublage et pourquoi le fait que je n’aie pas à m’inquiéter pour la carrière de Paruru est bien le cœur du problème.

À l’occasion d’un récent cours de chant, je dis à ma prof « dis donc, t’es bien la seule prof de chant, ici ? »
- Ouais.
- Ça veut dire que tous les autres élèves qui viennent en même temps que moi, c’est pour être doubleur ?
- Ouais.
- Mais le chant, ça peut être pour des projets persos ou faire le malin au karaoke et lever des meufs, mais doubleur, t’es obligé de devenir pro pour en faire quelque chose, non ?
- Ouais.

À quoi elle ajouta que dans les faits, c’est un peu moins séparé que ça, vu que les doubleurs prennent aussi souvent des cours de chant. En effet, tu auras remarqué qu’on est passé d’une époque avec des génériques complètement séparés du cast de l’anime à une époque où au contraire on pousse les doubleurs de l’anime à interpréter également les génériques d’ouverture et de fin, histoire de renforcer l’identité du produit.

On est également passé d’une époque où les doubleurs ne montraient jamais leur gueule à une époque où la frontière est de plus en plus mince entre doubleuse et chanteuse à plein temps + gravure idol, la bigleuse de service ayant sans doute été le summum du phénomène, et du coup pas la dernière à avoir essuyé les plâtres d’un tel succès, le web 2.0 ayant pleinement contribué aux 2 aspects de sa carrière.

Et qui dit visibilité, dit donc critères supplémentaires pour trier les candidats : avant, tu pouvais te contenter d’avoir une super voix. Maintenant, on préfère aussi que t’aies un bon cul à vendre, c’est-à-dire qu’on prendra probablement celle qui a une moins super voix, mais qui va nous vider les stocks de goodies avec ses gros nichons ou sa gueule d’ange.
Déjà, tu sens le glissement qualitatif.

Mais y a plus fort encore.

À partir du moment où tes doubleurs sont visibles et deviennent des entités en 3D, ça veut dire que leur attractivité n’est plus seulement basée sur leur voix, et qu’on peut donc aller chercher de l’attractivité dans le physique aussi, d’accord, mais on peut carrément aller la chercher… Dans l’attractivité elle-même !
Et voilà le super poing de la vengeance qui arrive dans ton cul comme un François Hollande à la présidence française : on va utiliser des personnes DÉJÀ célèbres pour le doublage, donc fais péter les acteurs, les présentateurs télé, les comédiens de stand-up, tout ce qu’on a sous la main pourvu que ça soit déjà passé à la télévision et que ça soit bankable.
Et alors là, la qualité, t’as bien compris que tout le monde s’en tartine la bite avec du yaourt.

Or, tout ce qui relève du talent passant nécessairement par des agences (事務所) au Japon, on n’est plus tant dans le talent individuel du doubleur que dans la position de pouvoir de son agence, raison de ma non-inquiétude quant à la carrière de Paruru, indépendamment de ses compétences persos.

Et puisqu’on parle de compétences, ajoutons qu’on se retrouve aujourd’hui avec un paradoxe : à l’origine, on avait donc des agences qui recrutaient des doubleurs et leur expliquaient ce qu’il y avait à faire mais pas COMMENT le faire. C’est ainsi que chacun développait sa personnalité, mais également que la sélection naturelle opérait : on avait peu de doubleurs, mais le niveau était élevé (en France, ça correspond à la période dorée Lax-Carel-Balutin-Dax-Hernandez). Désormais, tu veux devenir doubleur, ben tu vas dans une école où on t’explique comment tout faire bien, du coup non seulement on perd la sélection naturelle puisque tout le monde acquiert les compétences, mais on se retrouve également avec une perte d’identité, comme l’a récemment mentionné Nozawa Masako.

Enfin, tu auras sans doute remarqué que les hommes ont des voix plus facilement identifiables, quitte à en devenir prisonnier (Hayami Shô, le mec qui restera Aizen Sôsuke jusqu’à la fin de sa vie, quel que soit le perso qu’il incarne), alors que les nanas, à part quelques-unes rapidement identifiables (les Sawashiro-Nôtô-Fukui et quelques autres), c’est grosso-modo les mêmes rôles d’hystéro-kawaii qu’elles se tapent, surtout en cette période d’idoling et de magical girls de groupe (paie tes groupes de 5 persos féminins du même âge sur 10 séries, comme ça on est bien sûr qu’aucune doubleuse ne sortira du lot…), mais elles ont en revanche l’avantage de la diversité : une nana peut très bien faire des rôles masculins, des enfants, ou des femmes de tout âge. Pour les mecs, en revanche, c’est mort : t’as l’âge de ta voix et la voix de ton âge. Tu peux faire plus vieux, mais pas plus jeune (c’est pour ça que les Son Goku, Luffy, Naruto, c’est des meufs), donc ou bien t’as une vraie voix de fils de pute, ou bien tu peux bien te gratter le cul pour trouver du taf.

Alors comme désormais plus personne ne veut devenir salaryman, autant te dire que ça se bouscule au portillon, entre ceux qui ont du talent mais pas une agence assez puissante, ceux qui sont dans une grosse agence alors ils sont 200 à vouloir choper le même rôle, celles qui sont moches… Le tout payé une misère, bien entendu, ce qui nous vaut la sentence « c’est plus difficile de devenir doubleur (= d’en vivre) que médecin ou avocat ».

Pendant ce temps-là, ce sont tes anime et tes jeux vidéo qui trinquent.
 
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