mercredi 2 mars 2011

Socio-sociologie (article sérieux).


De toute façon, tu sais bien que je réserve mes articles de porno-sociologie à ForumJapon...

Tu te souviens sûrement de mon article sur "l'Empire des sans", ou comment il y a des gens qui font plus d'efforts pour trouver un titre sympa à leur reportage que pour y mettre du contenu pertinent.

Il y avait ce passage sur l'Homo Japonicus qui va se faire curer les oreilles et le journaliste de nous parler de "maternage".
Je lui avais mis le nez dans son caca, certes, mais depuis... Ça me hante.
Je me dis : "mais vraiment, le mec il a peur de rien, quoi".
Et comme disait l'ami Lino : "les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît".

Du coup, j'ai pris peur : "peut-être que le mec il va avoir le culot de faire UN AUTRE reportage sur la société japonaise". S'il promet de mettre du sexe dedans, qui osera lui dire non ?

Alors, au cas où, je t'explique pourquoi l'Homo Japonicus va se faire curer les oreilles :

1) je veux ma part du gâteau aussi.
Le Japon, contrairement à la France, est une société de services. Concrètement, qu'est-ce que ça veut dire ?
Ça veut dire que ton boulot, c'est de torcher le cul des gens du matin au soir, et avec le sourire. Ça veut surtout dire que tu dois être disponible.
C'est le premier élément, alors retiens-le bien.
Quand tu vas au combini du coin, le service ne tient pas tant à la personne qui est derrière la caisse qu'au fait que le magasin lui-même est ouvert pour te proposer ses denrées à toute heure du jour et de la nuit. Bon.
Globalement, c'est pareil pour tous les magasins style supermarché, restaurant, etc.

En revanche, il y a également les services à la personne : le coiffeur, le masseur, le médecin, la kyabajô, etc. Des vrais gens qui ont un autre rapport avec le client que tu es qu'un simple "irasshaimase". Quand tu fais partie de ce monde-là, tu n'es pas seulement dans "le boulot", parce que ton boulot dépend pas de ta présence horaire, mais de tes performances en tant que fournisseur de services à la personne.

Alors il y a un moment où, toi aussi, tu voudrais profiter de ce genre de services, toi aussi tu veux ta part du gâteau, ce morceau de vie où la société prendrait soin de toi comme tu passes ton temps à prendre soin des autres.
Et les kyabajô d'aller finir la nuit chez leurs homologues masculins.

2) je veux qu'on me foute la paix.
Je te l'ai dit : dans une société de services, tu es le gars dispo. Dispo pour ton boss, dispo pour ta femme, dispo pour tes gosses, dispo pour tes amis.
Pas une seconde de répit.

Des fois c'est dimanche soir mais tu dois prendre ton vélo pour aller distribuer des flyers pour ton entreprise jusqu'à 4h du matin, puis te lever à 7h pour recommencer la semaine.
Des fois tu veux regarder tranquillement le base-ball à la télé, mais tes gamins viennent te tirer la manche et te demandent de venir jouer avec eux, tandis que ta femme te raconte sa life ou, pire, t'explique comment elle kifferait de partir en voyage en France ou d'acheter un nouveau sac Vuitton. Ou n'importe quoi d'autre.

Putain, mais y a pas moyen d'être peinard dans ce putain de pays ?!

Non. Pas gratuitement, en tout cas. Car au Japon, la privauté et l'intimité sont des biens de consommation. Alors si tu veux du temps pour toi rien qu'à toi, il faut aller dans des enseignes spécialisées dans le temps pour toi rien qu'à toi.
Société de services, bitch.

Donc le salon où tu te fais curer les oreilles, c'est AVANT TOUTE CHOSE l'endroit où tu vas être autorisé à éteindre ton portable, l'endroit où tu prends rendez-vous à l'avance pour réserver tes 30 minutes de personne-vient-te-faire-chier, ton espace-temps de relaxation au milieu d'un univers de stress. Ton espace-temps de non-performance.

Voilà pourquoi tu vas dans ce genre d'endroits.

Alors tu vas me dire : peut-on considérer l'aspect du maternage comme complètement absent de pratiques ayant leurs références dans la période de l'enfance et impliquant de surcroît un personnel féminin comme le curetage d'oreilles ou le shampoing ? Aller au soapland n'est-il pas également un renvoi à cette période où l'enfant prenait son bain avec sa mère ?

J'excuserai alors bien magnanimement ta naïveté en t'expliquant que le mec qui va au soapland n'y va pas tant pour y prendre un bain que pour se faire sucer la bite, activité qui – espérons-le – ne le renvoie pas à son passif familial.
Moi aussi j'ai pris des bains avec ma maman, moi aussi j'ai eu droit à ma maman qui me faisait des shampoings quand j'étais trop petit pour bien comprendre le rapport entre les lois de la gravité et le shampoing qui coule piquer tes yeux, mais quand je vais chez le coiffeur aujourd'hui, c'est pas tant pour avoir une nana qui fait l'amour à mon cuir chevelu (toi-même tu sais : 99% de chances de tomber sur un mec) que parce que se couper les cheveux soi-même relève de la gageure et que c'est quand même mille fois moins chiant quand c'est quelqu'un d'autre qui s'en occupe.
Et j'ai autant l'impression d'y être materné que quand je commande des trucs sur le net.

Mais si toute forme d'assistance par une femme relève du maternage, pas de souci, j'ai rien contre cette interprétation non plus, sauf que tu seras gentil de l'appliquer uniformément, pas juste quand tu vois un salaryman la tête sur les genoux d'une employée de curetage. Est-ce que tu irais le soupçonner de quoi que ce soit quand il va se faire plier en 4, torsepoil, par son ostéopathe ?

Bon, alors.

Après, bien sûr, tu peux tomber sur le mec qui veut passer sa vie la tête enfouie dans une paire de gros seins bien moelleux et qui suce son pouce en position fœtale la nuit, après s'être vidé les couilles devant un classique Madonna.
Lui, OK pour le maternage.

D'ailleurs, Tonton Freud est formel :

4 commentaires:

David a dit…

Très bonne analyse mon cher Robert. Je n'ai rien à rajouter, mais je tenais à la signaler.

Anonyme a dit…

Tout de même, je m'interroge sur un truc.
Oublions un instant l'aspect érotique - et donc purement culturel - de la chose. D'un pur point de vue pragmatique, pour le japonais lambda : quel est l'intérêt d'aller se faire nettoyer les oreilles ?
À plus de 80%, les japonais n'ont pas de cérumen - ou au moins, pas au sens où on l'entend. Ils ont un cérumen dit 乾性 (kansei, "sec") plutôt que 湿性 (shissei, "humide" - là où nous, les faces de craies, sommes "humides" à plus de 90%).

Si le lecteur a la flemme d'aller sur wikipedia, je me fends d'une petite explication, parce que j'ai le temps. "Shissei", le cérumen "humide", c'est le cérumen jaune (ou ocre) : le "miel des oreilles" ; celui auquel tu penses en ce moment-même.
Alors que "Kansei", le cérumen "sec", c'est un truc que tu ne t'imagines pas ; en gros, des petits bouts de peau morte vaguement agglomérés.
C'est à peu près blanc, et c'est d'ailleurs pour ça que les cotons-tiges noirs ont un sens au Japon, alors qu'ils n'en auraient pas en Europe (puisque jaune sur noir, on ne voit rien).
Mais surtout, le cérumen sec, c'est une quantité de merde qui sort des esgourdes infime par rapport à la version humide (mais aussi, car c'est directement lié, des odeurs corporelles beaucoup, beaucoup moins fortes - ce qui explique qu'au Japon, ce qu'on appelle en France "odeur de sueur" soit considéré comme une maladie de paria, le 腋臭 (wakiga) - et répond incidemment à tes vieilles interrogations quant au fait que le japon ne soit pas un gigantesque réservoir d'odeurs de fauve malgré la quasi-inexistence de déodorants fonctionnant au-delà de durées maximales exprimées en dizaines de minutes).

Du coup, je m'interroge. À quel moment, pourquoi, et comment, quelque chose d'aussi anecdotique que le nettoyage d'oreilles "sèches" a-t-il pu acquérir une fonction érotique ?
Y'a-t-il eu à un moment un monsieur haut placé dans la hiérarchie qui était "humide" et qui a imposé la coutume ?
(et là, c'est moi qui ai la flemme d'aller sur wkipedia).

(Au prochain chapitre, Anonyme te raconte pourquoi les japonais ont une température corporelle de 36º plutôt que 37º, et comment les japonaises ont une grossesse de dix mois au lieu de neuf).

Robert Patrick a dit…

@anonyme : justement. Figure-toi que c'est de se faire gratter les oreilles pour enlever les peaux mortes qui est bon. par ailleurs, l'utilisation d'écouteurs intra-auriculaires a tendance à augmenter les lésions et donc la quantité de peaux mortes.
Quant à l'odeur corporelle, elle est fonction des aliments : prends un Japonais qui sent pas, fais-lui manger de l'ail et OH, magie ! Il se met à puer (du corps, hein, de la gueule, ça on s'en serait douté) !
Et je dis pas ça parce que j'ai Mme Patrick sous la main, hein...

Mais sinon l'oreille c'est érotique, peu importe le cérumen. Et c'est un Robert Patrick qui fait du massage qui te dit ça : les doigts dans les oreilles, juste tu kiffes.

Anonyme a dit…

eul'ROBLOOO !

 
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