Cela fait déjà quelque temps que je voulais écrire cet article, probablement peu après ma rencontre avec Senbei, mais les blagues les meilleures étant les plus courtes il m'apparaît aujourd'hui pertinent d'expliquer à ceux qui ne le savent pas déjà qui je suis (pour celles qui souhaiteraient carrément une photo, c'est très simple : imaginez François Hollande, mais avec des costumes bien taillés).
Je ne cours pas. Ni après rien autour d'un stade, ni après les Japonaises de Roppongi, ni après l'argent, les médailles ou la gloire. Ni après le train qui va partir, comme ces Japonais qui s'entassent jusqu'au malaise quand le train suivant est déjà stationné derrière celui dans lequel ils estiment leur présence indispensable. Ni après la fille que j'ai vue en premier mais que je te laisse draguer quand même, parce que mon bonheur dépend moins d'une caresse que d'une bonne connexion internet, alors que toi, je vois bien que tu crois encore à la femme de ta vie et c'est peut-être elle. Ce soir, en tout cas.
Je n'ai quasiment jamais obtenu ce que j'ai voulu, et quand je l'ai eu je l'ai souvent regretté. Alors que toutes les bonnes choses qui me sont arrivées me sont tombées dessus from nowhere, mais à la limite du miracle ou de la caméra cachée (les circonstances de ma venue au Japon, mais juste WTF ?!). Tu avoueras que ça n'enjoint pas vraiment à la proactivité...
Mon métier, c'est professeur de japonais et ma vocation c'est l'enseignement. Si j'avais voulu de l'argent, j'aurais fait les études qu'il faut pour. Je n'ai pas d'ambition, aucune. Quand les gens me parlent de "challenge", d'"évolution", je ne comprends pas le but de tout ça. Je veux juste pouvoir enseigner le japonais. Qu'est-ce que c'est, l'évolution de "professeur de japonais" ? Enseigner au Stade de France ? Je suis aujourd'hui directeur d'une école, j'en ai le titre en tout cas, mais pas le pouvoir. Quand ma collaboratrice me dit que c'est "mon école", je lui réponds que non et elle croit entendre que je souhaiterais plus de responsabilités, de pouvoir exécutif, alors que c'est le contraire : je me fous éperdument du pouvoir et n'imagine pas une seule seconde qu'une institution puisse m'appartenir sans que j'y aie investi le moindre centime. Je veux juste qu'on arrête de me mentir, qu'on arrête de croire que je vais être tout fier de courir après la carotte qu'on me présente. Je ne cours pas. Je suis l'homme qui marche.
C'est pour ça que tu te trompes si tu crois que j'essaie de pisser plus loin que toi. Je n'ai pas d'ego à ce niveau-là : je ne dis pas "いいな~" comme une Japonaise qui a l'homme le plus beau et le plus dévoué dans sa main mais regarde avec envie ton nouveau copain moche juste parce que "le monde ne suffit pas". Si tu es plus beau que moi, que tu baises plus, que tu gagnes plus, je ne me dis pas que c'est injuste, je ne me dis pas "pourquoi lui ?", parce que j'en suis déjà à me demander "pourquoi moi ?" quand je regarde ma vie parsemée de bonheur.
Et aussi je suis gentil. Pas pour être ton ami, pas pour obtenir une faveur, pas pour que tu me regardes ne serait-ce qu'une fois, s'il-te-plaît, Princesse. Juste parce que j'ai de la marge. Parce que prendre soin de toi ne me coûte rien, alors si le résultat est le même autant essayer d'améliorer ta vie un peu. Ton ingratitude ne me blesse pas, car ce que je te donne je n'en ai jamais eu besoin, je ne sacrifie rien.
Je suis l'homme qui marche.